ALICE ET LES INTRIGANTS

ANNE EMERY
peintures
samedi 22 janvier – samedi 26 février 2022

Parmi les rencontres picturales qui ont marqué le parcours d’Anne Emery, l’une des plus signifiantes a eu lieu dans la salle de bains d’un petit appartement situé près de la place Pigalle. Une veduta fixée sur une lucarne au-dessus de la baignoire donne à voir le monastère San Giorgio Maggiore. Ce pan de bois fraie un passage imaginaire entre Paris et Venise, ou entre « la salle de bains et le monde », comme l’écrira Pierre Wat dans le catalogue d’une exposition consacrée à l’auteur supposé du tableau : Albert Marquet.

Plus qu’une anecdote, cette histoire inspire à Anne Emery un triptyque présenté dans l’exposition et donne entrée à l’ensemble de son travail. Par la fenêtre de Marquet, la peinture d’Anne Emery parle à l’œil. Ses toiles ouvrent sur un monde pictural au-delà du cadre défini par le support. Les formes débordent la toile et s’émancipent du tableau ; tel détail s’élargit ailleurs en sujet principal de la composition ; le tableau dans le tableau met le regard en abyme. Le vocabulaire pictural se déploie de toile en toile, comme autant de phrases variant un même thème, et la couleur, enfin, se répand pour baigner cet autre monde que l’artiste apprivoise.

Anne Emery  jongle avec ses « intrigants », drôles de sphères colorées, et s’amuse. Elle joue des oppositions et des complémentarités : l’abstrait et le figuratif, la perspective et les aplats, l’histoire de la peinture. Ainsi peuplé, l’espace s’ouvre en un monde élastique à explorer. Comme Alice, le spectateur traverse la toile, rassuré par les figures qui l’ont déjà investie et accompagné par les « intrigants », pour déambuler dans ce monde d’éclosions acidulées où les fleurs cohabitent volontiers avec les flocons d’une neige tempérée.

« Il y a un Albert Marquet dans la salle de bains », nous dit Anne Emery en couleurs pop et gommettes intrigantes. Manière ludique et gracieuse, mosaïque et diffractée, de tenir au fond l’engagement du premier des modernes : « je vous dois la vérité en peinture et je vous la dirai » (Cézanne). Mais puisque nature aime à se cacher, il faut bien un kaléidoscope et une Alice aux cheveux roses pour jouer avec le vrai à cache-cache, de l’autre côté du miroir. Ou plutôt nous prendre par la main pour aller se baigner dans ces eaux-là et glisser, de toile en toile, jusqu’à se faire la malle et le mur par cette jolie lucarne de hasard.