LA FIANCÉE MUETTE
LÉA DE MATTEO
photographies
samedi 11 février – samedi 25 mars 2023
D’abord, il y eut l’image marquante d’une femme vissée à sa chaise roulante contemplant dans le téléviseur le visage de l’actrice qu’elle avait été. Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, coup de poker pour Joan Crawford, s’avéra sonner définitivement le glas de sa carrière. Depuis, l’image n’a cessé de se cristalliser autour de ces ultimes vibrations, quand elle n’a pas purement et simplement disparu des mémoires.
Pour Léa De Matteo, c’est une nuit de 2017 que cette image, trouva à s’incarner. Par-delà le rôle, par-delà l’actrice, ce fut la femme qui, fugitivement mais de manière indélébile sembla se réveiller, dans un éclat presque douloureux. Un regard sans a priori se posait alors sur cette icône déchue.
Et tout commença.
Minutieusement, absolument et résolument, il allait falloir lever tous les mystères ; chercher à effleurer du doigt l’absolu ; vouer un culte presque dévot à une païenne érigée en Madone ; la démasquer, elle, ses atours, ses artifices et ses faux-semblants ; nager à contre-courant dans une époque qui ne voulait entendre parler que d’une femme objet condamnée à être la marionnette des hommes dans un Hollywood déjà tant de fois décrié, ou d’un rapport de « fan », avec ses excès, ses idolâtries et ses raccourcis.
Débuta alors une quête effrénée pour faire exister Joan de manière tangible, parmi cette myriade kaléidoscopique d’archives, dans l’espoir de revivre et de comprendre ce premier moment de grâce. Très vite s’imposa l’évidence : « trouver une image qui serait à la fois justice et justesse » (R. Barthes), à la mesure de cette apparition initiale ; accueillir cette présence quotidienne et vivace, cette intimité nouvelle où Joan revêtait tour à tour, les visages de soeur, d’amie, d’amante… Il fallait accepter l’abandon, le don de soi, ce rôle de passeur, dont les mains étaient parfois guidées par celles de Joan. La distance temporelle, la mort, tous ces obstacles infranchissables devaient être contournés, déjoués avec malice et sincérité.
La création de ces images contemporaines, apporte certes un éclairage nouveau, et déleste Joan Crawford des clichés qui l’entourent. Mais l’objectif n’est pas tant de rétablir une quelconque « vérité » sur la star que d’entrer soi-même dans le champ. En devenant actrice de ses propres images, Léa De Matteo parvient à établir une correspondance muette, dont l’acte créateur est le processus autant que l’aboutissement. Loin de résoudre l’énigme Joan Crawford, cette quête toujours mouvante en opacifie le capiteux mystère.